vendredi 9 décembre 2011

Chapitre 16

Quelques jours après, Shtamingo, qui avait été rendre visite à sa mère-grand, s’en retournait à Jeep City en diligence. En face de lui, sur l’autre banquette, papotaient 2 femmes. L’une, très digne, très respectable, très « comme il faut » ; l’autre, présomptueuse et têtue, comme il n’est guère permis de l’être. Et avec ça, osseuse et squelettique à faire peur ! Le genre de laideur qu’on n’aimerait certes pas rencontrer près d’un cimetière par une nuit au clair de lune blafard ! Mais on voyait tout de suite qu’elle avait une très bonne opinion d’elle-même et se considérait comme le centre de l’Univers ! Et de quoi parlaient donc nos 2 dames ?Et bien, je vous le donne en mille ! Mais de la guerres de Sécession, bien sûr !
« Et moi, vous dis-je, elle a débuté le 13 Mai 1851, et s’est terminée le 5 Mars 1855 ; et Lee capitulait le 8 ! Vous pouvez me croire, va, je n’affirme quelque chose que lorsque j’en suis absolument certaine ! Si j’ai le moindre petit doute, je n’ouvre même pas la bouche. »
« Je vous assure, Madame, que vous vous trompez ! La guerre de Sécession a commencé le 12 Avril 1861 et s’est achevée le 6 Avril 1865 ; quant à Lee, il capitulait le 9 ! Vous pouvez aisément le vérifier en vous renseignant auprès d’un militaire. »
« Je n’ai pas besoin de faire une telle démarche, je sais ce que je dis ; et qui plus est, mon mari est officier ; c’est vous dire.. »
Shtamingo, dont le système nerveux avait été sérieusement ébranlé, et la patiente mise à rude épreuve par la prétentieuse beauté d’outre tombe, ne put se contenir davantage :
« Ce que dit cette dame est parfaitement exact : début des hostilité le 12 Avril 1861, fin de la guerre, le 6 Avril 1865. Capitulation de Lee, le 9. Je suis bien placé pour le savoir, j’en étais. Et comme sergent encore !! » (ça, c’est ce qu’on pourrait appeler un pieux mensonge de Shtamingo, car en fait, il ne fut jamais autre chose que 2ème pompe ; mais « sergent », ça faisait tellement mieux !). Suffoquée par la fureur qui l’étouffait, madame Trompe la Mort ouvrit et referma sa bouche plusieurs fois de suite, mais les mots ne passaient plus. On aurait dit un poisson qu’on vient de sortir de l’eau, et qui cherche à respirer. A ce moment, des cris, ressemblant à s’y tromper à des cris de coyottes, se firent entendre.
« Les Indiens ! » s’exclama Shtamingo.
« Jésus, Marie ! » s’écria la dame respectable en se signant.
Un cri ridicule et haut perché, semblable à un cri de souris, fut la seule manifestation de la vieille harpie. Baissant la vitre de la portière, Shtamingo commença à tirer sur les Indiens. Près du cocher, le convoyeur en faisait autant. Tout en tirant, Shtamingo remarqua que l’affreuse « Belle Hélène » avait près d’elle un gros paquet de bananes, et celui-ci fit germer en lui une idée de génie ( pas aux enzymes gloutons).. ça lui permettrait d’économiser ses provisions de munitions ! Il s’empara des dites bananes sans plus de façon, et, sans tenir compte du flot de protestations et de paroles peu amènes, qui jaillit spontanément du gosier de Miss Dracula, se mit à les éplucher, et à les balancer par la fenêtre, au petit bonheur la chance, épluchures et contenu ! La vieille harpie n’arrêtait pas de râler ! ( c’est vrai, j’avais oublié de vous dire, ou plutôt de vous signaler en passant, que son passe-temps favori, c’était de râler, précisément ! ) Les Indiens les poursuivaient toujours, mais ni leurs tomahawks, ni leurs flèches ne parvenaient jusqu’à la diligence. Et voilà que tout à coup, ils se mettent tous à s’étaler par terre ! Les uns après les autres ! Ou plutôt, ce sont leurs chevaux qui, glissant mystérieusement sur…allez donc savoir quoi … s’étalaient, les entraînant dans leur chute.
Quand soudain, l’un d’eux aperçut une peau de banane et, la montrant aux autres, déclara sentencieusement : « Hugh, ça, arme secrète des Visages-Pâles ! Eux, trop forts pour nous ! Grands guerriers Sioux, devoir tenir Grand Conseil ! Demi-tour, hugh, j’ai dit ! » (Comme vous avez déjà du le comprendre, c’était leur chef ! Mais, au cas où des « bombes à retardement »liraient mon livre..). Les voyant faire demi-tour, Shtamingo jubila et poussa un « Yeepie-yé » retentissant, qui fit sursauter les 2 dames. Mais cela n’empêcha guère Atropos de continuer à râler ! A l’entendre, on aurait pu penser que c’était à cause des bananes ! (je t’en ficherais des bananes !). En vérité, elle ne pouvait pas encore digérer d’avoir été percée à jour par Shtamingo et de s’être laissée moucher comme une collégienne, dépourvue d’imagination et d’esprit de répartie. Fatigué par l’effort fourni contre les Peaux-Rouges, las des interminables litanies de la mégère (non encore apprivoisée, hélas !), Shtamingo s’empara de la dernière banane ( une rescapée, si j’oses dire !) et sans l’éplucher, la fourra telle que dans la bouche béante de la vieille chipie, qui du coup, se tut. Pétrifiée de fureur, fulminante de colère contenue, elle frisait l’hémorragie cérébrale.. Et bientôt, la petite diligence de la Wells à Fargo arrivait à la station de Jeep City et s’arrêtait dans un nuage de poussière ! Shtamingo ouvrit aussitôt la portière, sauta lentement, et…s’enfonça dans une mare boueuse, jusqu’au chapeau !

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